Victor Hugo et les égouts – II L’histoire ancienne de l’égout – 3

Il était tout simple que ceux qui avaient pour lieu de travail quotidien le cul-de-sac Vide-Gousset ou la rue Coupe-Gorge eussent pour domicile nocturne le ponceau du Chemin-Vert ou le cagnard Hurepoix. De là un fourmillement de souvenirs. Toutes sortes de fantômes hantent ces longs corridors solitaires ; partout la putridité et le miasme ; çà et là un soupirail où Villon dedans cause avec Rabelais dehors.

L’égout, dans l’ancien Paris, est le rendez-vous de tous les épuisements et de tous les essais. L’économie politique y voit un détritus, la philosophie sociale y voit un résidu.

L’égout, c’est la conscience de la ville. Tout y converge et s’y confronte. Dans ce lieu livide, il y a des ténèbres, mais il n’y a plus de secrets. Chaque chose a sa forme vraie, ou du moins sa forme définitive. Le tas d’ordures a cela pour lui qu’il n’est pas menteur. La naïveté s’est réfugiée là. Le masque de Basile s’y trouve, mais on en voit le carton, et les ficelles, et le dedans comme le dehors, et il est accentué d’une boue honnête. Le faux nez de Scapin l’avoisine. Toutes les malpropretés de la civilisation, une fois hors de service, tombent dans cette fosse de vérité où aboutit l’immense glissement social. Elles s’y engloutissent, mais elles s’y étalent. Ce pêle-mêle est une confession. Là, plus de fausse apparence, aucun plâtrage possible, l’ordure ôte sa chemise, dénudation absolue, déroute des illusions et des mirages, plus rien que ce qui est, faisant la sinistre figure de ce qui finit. Réalité et disparition. Là, un cul de bouteille avoue l’ivrognerie, une anse de panier raconte la domesticité ; là, le trognon de pomme qui a eu des opinions littéraires redevient le trognon de pomme ; l’effigie du gros sou se vert-de-grise franchement, le crachat de Caïphe rencontre le vomissement de Falstaff, le louis d’or qui sort du tripot heurte le clou où pend le bout de corde du suicide, un fœtus livide roule enveloppé dans des paillettes qui ont dansé le mardi gras dernier à l’Opéra, une toque qui a jugé les hommes se vautre près d’une pourriture qui a été la jupe de Margoton ; c’est plus que de la fraternité, c’est du tutoiement. Tout ce qui se fardait se barbouille. Le dernier voile est arraché. Un égout est un cynique. Il dit tout.

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